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De son propre aveu, Hann Reverdy trafique. Elle est de ces créateurs renégats qui, avec une jubilation affichée, traînent leurs guêtres à travers les sphères interlopes de l'art, là où, sans dieu ni maître, ne se réclamant d'aucune chapelle, leur talent commet ses plus illustres forfaits en toute impunité. Hann a la désinvolture stylée des vrais affranchis. Elle trafique, voyez-vous, quelque part où le légal et l'illicite se frôlent et se provoquent. Avec une liberté goguenarde, elle triture les pudeurs du bien-pensant, elle désaxe nos perceptions trop bien huilées, elle détraque les poncifs les mieux enracinés et sabote les images d'Epinal dont la frilosité endort nos consciences. Loin de s'agenouiller devant les paradoxes, Hann les orchestre, les met au pas, en fait les éléments opérants de son instinctive chimie visuelle : pour mieux débusquer la vérité des émotions que l'on tait derrière des masques, elle excelle à falsifier les faux-semblants, à styliser les faux-fuyants.

L'œuvre de Hann est une bavure de matière protéiforme qui gicle, éclabousse et se répand dans l'espace, sans limite ; à sa surface se détache le reflet fragmenté d'un monde qu'elle connaît bien et ausculte sans en avoir l'air : celui des marges et des à-côtés, coulisses vibrantes de sensations noires et dérangeantes, cave et grenier de notre société où éclosent dans le demi-jour nos pensées prohibées. Cette constellation du Rorschach que Hann allume, tache après tache, dans la nuit de nos imaginaires endormis suscite comme un malaise, le vertige des variations infinies.

Il serait erroné de croire que l'artiste tâtonne et se cherche lorsqu'elle démultiplie à l'envi les mêmes motifs : ces séries de déclinaisons se déploient en spirales étudiées, selon une rigueur presque mathématique, suivant une logique de la nuance et du détail. En retranchant ici, en diffractant et météorisant là, Hann recompose notre monde avec une précision chirurgicale, sans une larme pour nos corps contrefaits dont elle magnifie les infirmités et transfigure l'inesthétique et morne humanité. Styliste du clair et de l'obscur, elle enveloppe ses œuvres dans les atours du contraste, au gré des télescopages de matières qui n'ont rien d'accidentel. Ses drapés et plissés tirent leur vénéneuse élégance de manipulations croisées, faites de décalages, de chevauchements, de brouillages, d'éclatements.

Si Hann fait plier les textures les plus rétives et les soumet avec autant de souplesse à ses indevinables volontés c'est qu'elle en a une connaissance intime. Voyez l'audace et l'assurance avec lesquelles elle ouvrage le métal, la roche, le cuir et l'os pour en faire les guipures et passementeries d'une réalité autre : la nôtre, débarrassée de ses paravents et miroirs déformants. Hann est une costumière : elle habille Eros et Thanatos ! Mécanisés, cadavérisés, fantomatisés, les corps s'impriment, en silhouettes entraperçues, à la frontière d'une science-fiction érotique et d'une féérie funéraire. D'ascendance mi-baroque mi-libertine, les « traficosités » de l'artiste s'attachent à mettre en scène le jaillissement du désir autant que le croupissement de la mort. Filigranées de sueur et de sang, veinées de névroses et de rêves fauves, elles sont les carats de cette œuvre multifacette, plurifantasme, que Hann Reverdy façonne et expose à la lumière avec l'amour brut du diamantaire pour sa pierre.

Nicolas Liau

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